DROITS FONDÉS EN TITRE : CONDITIONS D'UNE GARANTIE PERPETUELLE

La règle générale dans la petite hydroélectricité (installations d’une puissance de moins de 4,5 Mw) est le régime de l’autorisation.

Celle-ci nécessite toutefois une démarche souvent compliquée et longue, menant à une autorisation toujours précaire…et de plus en plus précaire ….puisqu’il est d’usage aujourd’hui, dans les services instructeurs, de réduire drastiquement la durée pour laquelle l’autorisation de l’Etat est accordée.

Celle-ci, d’une durée d’environ quarante ans par le passé, est souvent réduite aujourd’hui à 20 ans, sans véritable justification d’ailleurs !

C’est ce que l’on appelle en droit… « le fait du prince ».

Le régime de la concession et de l’autorisation résulte de l’article 1 de la loi fondatrice de l’hydroélectricité en France, la loi du 16 Octobre 1919.

Parallèlement à ces deux régimes, il existe une catégorie très spécifique à l’hydroélectricité qui remonte à l’époque pré révolutionnaire et qui attribue à celui qui l’établit, une autorisation perpétuelle.

Il s’agit des droits fondés en titre ou des usines ayant une existence légale

La situation diffère selon que l’installation est présente sur un cours d’eau domanial, ou sur un cours d’eau non domanial.

Sur les cours d’eau domaniaux, il s’agira d’établir que les droits ont été acquis avant l’édit de Moulins de 1566, édit royal qui a pour la première fois consacré l’inaliénabilité du domaine de la couronne (aujourd’hui « domaine public ») dont faisaient partie les cours d’eau navigables ou flottables. Cette inaliénabilité impliquait dès lors la nécessité d’obtenir une « autorisation » établissant un « droit » pour installer une prise d’eau, un moulin, etc. sur ces cours d’eau. L’édit a néanmoins reconnu les droits antérieurement acquis en les exonérant d’autorisation.

Sur les cours d’eau non domaniaux, il s’agit des droits de moulin, d’étangs, d’irrigation, délivrés sous le régime féodal par les seigneurs avant la révolution, et que la nuit du 4 août 1789 n’a ni abolis, ni rachetés aux seigneurs.

Il n’est pas toujours simple d’en prouver l’existence et également de déterminer la puissance anciennement autorisée sur le site, dite « consistance légale ». Bien souvent le document faisant foi est la fameuse carte de Cassini.

Bien évidemment la jurisprudence administrative s’est penchée souvent sur ce droit très particulier qui déchaîne les passions tant sa reconnaissance est importante pour les porteurs de projets dès lors qu’il est exonéré de nombreuses procédures d’autorisation ou de renouvellement.

Le droit d’eau fondé en titre est un droit exclusivement attaché à des ouvrages pour l’usage des moulins, des étangs ou l’irrigation. Comme le souligne Pierre Magnier dans sa thèse « Le droit des titulaires d’usines hydrauliques fondées en titre », le droit fondé en titre s’analyse comme un droit d’usage particulier : « le droit fondé en titre n’est qu’un droit réel « administratif » (dans le sens où l’administration peut agir sur ces droits sans formalisme excessif), c’est à dire un droit d’usage, plus fort sans doute que les autres, et auquel sont reconnus des avantages spéciaux, mais un droit d’usage cependant, et non un droit de propriété ».

Face à l’administration, et dans la recherche de la reconnaissance de ce droit, l’un des obstacles majeurs est la perte ou la disparition du droit en cas de ruine de l’ouvrage ou en cas de changement d’affectation des ouvrages principaux permettant de le faire fonctionner.

La jurisprudence est assez fournie quant aux conditions tenant à l’existence de ces droits et aux prérogatives qui leur sont attachées. 

DEUX ARRÊTS RENDUS LE 25 SEPTEMBRE 2018 PAR LA COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE BORDEAUX SONT INTÉSSANTS À CE SUJET ET POSE LES PRINCIPES EN LA MATIÈRE. (CAA BORDEAUX, N°25 SEPTEMBRE 2018, N°15BX02580).

Dans le cadre de la première affaire, la société Centrale des Vignes et la société Hydro les Vignes ont demandé au préfet des Pyrénées-Atlantiques de reconnaître le droit fondé dans la limite d’une consistance légale de 5 552 kW. 

Ce dernier a refusé cette reconnaissance.

Par jugement du 12 mai 2015, le Tribunal administratif de Pau, estimant que l’administration ne pouvait dénier à ces installations l’existence d’un droit fondé en titre, a annulé l’arrêté préfectoral du 11 septembre 2013.

Le ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie a toutefois interjeté appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux. (NB : ce qui établit bien que l’administration…au plus haut niveau tente de réduire au maximum ces reconnaissances).

La cour administrative d’appel de Bordeaux, tenue de se prononcer sur l’existence d’un droit fondé en titre concernant la centrale hydro-électrique en cause, a rappelé le fondement de ce droit en jugeant que :

 « Sont notamment regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d’eau sur des cours d’eaux domaniaux qui proviennent d’une vente de biens nationaux ou qui sont établies en vertu de droits acquis avant l’Edit de Moulins de 1566 ou, s’agissant des cours d’eaux situés dans le Béarn, avant 1620, année de rattachement de cette province à la France. 

Une prise d’eau est présumée établie en vertu d’un acte antérieur à ce rattachement dès lors qu’est prouvée son existence matérielle avant cette date ».

En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Bordeaux relève que la centrale hydro-électrique avait été construite en 1974 après l’acquisition d’une usine et de ses droits, centrale qui avait elle-même était construite sur le fondement de l’acquisition du groupe d’installations de Mirepeix bénéficiant d’une prise d’eau sur la rive droite du Gave de Pau.

Or, la cour administrative d’appel de Bordeaux constate que « les droits d’eau du groupe d’installations de Mirepeix figurent, en tout état de cause, dans un acte de dénombrement enregistré au Château de Pau le 30 janvier 1538 avant le rattachement en 1620 de la province du Béarn à la France et que ceux du moulin de Nay, auquel se sont raccordées en 1828 les installations de Mirepeix ont fait l’objet d’une vente de biens nationaux le 22 messidor an IV ».

Elle juge donc que la centrale hydro-électrique avait bien hérité des droits fondés en titre attaché au groupe d’installations de Mirepeix et cela, nonobstant le fait que « la centrale hydro-électrique des Vignes soit installée sur un emplacement différent de celui des usines dont elle a hérité les droits » au motif que cette circonstance « est sans influence sur l’existence d’un droit fondé en titre dès lors que ce droit consiste en un droit d’usage de la force motrice de l’eau et qu’il est lié non aux ouvrages destinés à l’utilisation effective de la force motrice du cours d’eau mais à l’existence d’une prise d’eau et aux ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau ».

Dans la seconde affaire, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a eu à trancher la question des prérogatives attachées aux droits fondés en titre.

Par un arrêté du 11 septembre 2013, le préfet des Pyrénées-Atlantiques avait reconnu le caractère fondé en titre du droit d’eau attaché à la centrale hydro-électrique exploitée par la société Centrale hydro-électrique de Mirepeix Nay. Toutefois, l’arrêté avait fixé à 5 m3 par seconde le débit à retenir pour fixer la consistance légale du droit fondé. L’arrêté imposait en conséquence à la société Centrale hydro-électrique de Mirepeix Nay de déposer, au titre du code de l’environnement, un dossier en vue de régulariser l’installation dans la mesure où sa consistance actuelle excédait sa consistance légale.

Par jugement du 12 mai 2015, le Tribunal administratif de Pau, estimant que la consistance légale de l’usine devait être fixée en considération d’un débit de 26,95 m3 par seconde, a annulé l’arrêté préfectoral du 11 septembre 2013. 

Le ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie (NB : Encore lui !!) a interjeté appel de ce jugement. 

La Cour administrative d’appel de Bordeaux commence par rappeler la consistance d’un droit fondé en titre en jugeant qu’un « droit fondé en titre conserve la consistance qui était la sienne à l’origine. 

 

Dans le cas où des modifications de l’ouvrage auquel ce droit est attaché ont pour effet d’accroître la force motrice théoriquement disponible, appréciée au regard de la hauteur de la chute d’eau et du débit du cours d’eau ou du canal d’amenée, ces transformations n’ont pas pour conséquence de faire disparaître le droit fondé en titre, mais de soumettre l’installation au droit commun de l’autorisation ou de la concession pour la partie de la force motrice supérieure à la puissance fondée en titre ».

La Cour administrative d’appel de Bordeaux indique ensuite comment procéder au calcul de la consistance de ce droit.

Elle pose le principe qu’à « défaut de preuve contraire, la consistance légale d’origine d’un droit d’eau est présumée conforme à sa consistance actuelle qui correspond, non à la force motrice utile que l’exploitant retire de son installation, compte tenu de l’efficacité plus ou moins grande de l’usine hydro-électrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer ».

Le ministère se fondait sur un rapport d’expertise de 1890  qui faisaitt état d’un débit de 5 ou 7 m3 par seconde, alors que la société Centrale hydro-électrique de Mirepeix Nay faisait état, lui, d’un débit de 26,95 m3 par seconde résulte d’un calcul hypothétique, au cas où les vannages et canaux seraient curés et où une usine installée en aval en 1843 serait détruite.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux juge que ces rapports ne sauraient constituer des preuves suffisantes permettant d’établir la consistance légale d’origine de ce droit fondé. Et elle juge que la consistance du droit d’eau fondé en titre dont est titulaire la société Centrale hydro-électrique de Mirepeix Nay doit donc être présumée comme conforme à sa consistance actuelle, soit 2 884 kW compte tenu d’un débit maximum de la dérivation de 14 m3 par seconde et d’une hauteur de chute de 21 mètres

Dans un arrêt beaucoup plus récent, en date du 6 novembre 2024 (6ème – 5ème chambres réunies n° 474191), le Conseil d’État a précisé sa jurisprudence s’agissant du régime de l’abrogation des droits d’eau fondés en titre, motivée par la ruine des éléments essentiels de l’ouvrage hydraulique.

A l’occasion d’une d’abrogation d’un droit d’usage de l’eau pour un moulin situé au droit de l’Indre, les services préfectoraux constatant que « les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice du cours d’eau ne subsistaient plus qu’à l’état de vestiges » ont pris la décision d’abroger ce droit d’eau par arrêté du Préfet de l’Indre le 8 mars 2019.

Le recours en annulation formé par le propriétaire du moulin a été accueilli favorablement par le Tribunal administratif de Limoges, dont le jugement a été ensuite confirmé par la Cour administrative d’appel de Bordeaux.

Les juges du fond ont notamment estimé que de modestes travaux permettraient de rendre de nouveau utilisable la force de l’eau.

Toutefois, saisi par la Ministère de la transition écologique…(encore lui !) le Conseil d’État revient sur le raisonnement des juges du fond en confirmant la légalité de la décision préfectorale contestée, et saisissant cette opportunité pour préciser sa jurisprudence, il complète cette dernière s’agissant du régime de l’abrogation des droits d’eau fondés en titre.

Pour fonder son raisonnement, le juge administratif vise la jurisprudence de principe dans son arrêt « Laprade Énergie » (CE 5 juill. 2004, SA Laprade Energie, n° 246929)

Le Conseil d’État rappelle la définition de la ruine de l’ouvrage, déjà précisée antérieurement (CE, 24 avril 2019, ministre de la Transition Ecologique, n° 420764) selon laquelle « L’état de ruine, qui conduit en revanche à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice du cours d’eau ont disparu ou qu’il n’en reste que de simples vestiges, de sorte que cette force motrice ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète. ».

Pour le Conseil d’État, le fait « qu’il n’existe plus aucune trace du seuil de prise d’eau de l’ouvrage sur l’Indre, seuls subsistant les départs empierrés latéraux au droit de chacune des deux rives, et que le bief d’amenée, même s’il demeure tracé depuis la rivière jusqu’au moulin, est partiellement comblé et totalement végétalisé » le conduit à constater que « les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice du cours d’eau ne subsistaient plus qu’à l’état de vestiges ».

Partant, il accueille le pourvoi en cassation du ministre.

Cet arrêt contribue à enrichir la jurisprudence administrative relative à la perte du droit d’eau fondé en titre, comme en l’espèce par la ruine de l’ouvrage ou, par son changement d’affectation (CE, 17 septembre 2024, n° 497441) et confirme une position déjà adoptée par le Conseil d’Etat. 

En effet, la haute cour avait déjà jugé en 2019 que : « L’état de ruine, qui conduit (…) à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice du cours d’eau ont disparu ou qu’il n’en reste que de simples vestiges, de sorte qu’elle ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète ». (CE 24 avr. 2019, Ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire c. Commune de Berdoues, n° 420764)

 

En conclusion, certes ces « droits fondés en titre » sont des droits perpétuels mais encore faut-il qu’ils aient été un minimum préservés et entretenus pour être reconnus par l’administration !

 

Dernière précision utile pour nos lecteurs, car nombre d’exploitants pensent que le bénéfice d’un droit fondé en titre les exonère de toute obligation au titre de la police de l’eau, ces installations fondées en titre ou sur titre « sont soumises, pour leur exploitation, aux dispositions des articles L. 214-1 à L. 214-11 du code de l’environnement, qui définissent le régime de la police de l’eau, notamment à celles qui définissent les conditions dans lesquelles, en vertu de l’article L. 214-4, l’autorisation peut être abrogée ou modifiée sans indemnisation.

Arnaud DOLLET, Consultant juridique de la Fédération EAF

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