La présomption de "Raison impérative d'intérêt public majeur", et le décret du 28 décembre 2023 au Crible du Conseil d'État

Arrêt du 20 décembre 2024 (N°492185)

La Fédération Nationale de la Pêche en France, ainsi qu’un certain nombre d’autres fédérations de défense de la Nature et de l’Environnement avaient déposé plusieurs recours demandant au Conseil d’Etat d’annuler, pour excès de pouvoir, le décret n° 2023-1366 du 28 décembre 2023 pris pour l’application, sur le territoire métropolitain continental, de l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie créé par la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables et de l’article 12 de la loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative aux installations nucléaires.

Dans ses conclusions le rapporteur public de la haute juridiction, Nicolas AGNOUX, rappelait l’enjeu du débat juridique placé autour de la fameuse notion de « Raison Impérative d’Intérêt Public Majeur ». (RIIPM)

Cette notion est issue de la directive Habitat de 1992 et avait été transposée en droit interne à l’article L. 411-2 du code de l’environnement.

Appliquée avec la rigueur requise par l’administration et son juge aux autorisations délivrées pour des installations industrielles, cette condition s’est révélée toutefois pouvoir constituer un frein au développement des projets d’énergies renouvelables, qu’il s’agisse d’installations hydrauliques, éoliennes ou photovoltaïques.

C’est donc dans ce contexte, comme vous le savez, qu’en parallèle aux initiatives engagées au niveau européen, la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables a institué, par des dispositions codifiées à l’article 

L. 211-2-1 du code de l’énergie et à l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement, un régime de présomption de RIIPM.

Au terme de celui-ci, sont « réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur », au sens de l’article L. 411-2, les projets d’installations de production d’énergies renouvelables ou de stockage d’énergie dans le système électrique qui satisfont à des conditions qui devaient être définies par décret en Conseil d’Etat tenant compte du type de source d’énergie renouvelable, de la puissance prévisionnelle totale de l’installation projetée et de la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation des objectifs mentionnés dans la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Ce décret est donc celui du 28 décembre 2023 (n° 2023-1366) qui a fait l’objet de ces différents recours.

Plusieurs moyens sur lesquels je ne m’appesantirai pas, visaient la légalité externe du texte (en gros la forme et la procédure d’élaboration du texte), essentiellement organisés autour des règles de participation du public à la procédure d’élaboration du décret.

Ces moyens ont tous été jugés inopérants par la haute cour.

Il est plus intéressant de s’attarder sur quelques moyens de légalité interne (le fond et la conformité aux règles de droit existantes, internes et européennes) et de prendre connaissance de la position du Conseil d’Etat sur ces moyens.

En premier lieu,

Les requérants prétendaient que le texte méconnaissait l’obligation de préservation de la continuité écologique des cours d’eau dans la mesure, il incluait dans son champ d’application, les installations sises sur des cours d’eau mentionnés au 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement (cours d’eau de la liste 2).

Le Conseil d’Etat écarte le moyen en jugeant que :

« Les dispositions de l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie n’ont ni pour objet ni pour effet de dispenser les projets d’installations hydroélectriques du respect des exigences relatives notamment à la préservation des continuités écologiques des cours d’eau. Au demeurant, le dernier alinéa des articles R. 211-5 et R. 211-6 du code de l’énergie résultant du décret attaqué précise que les dispositions du décret ne s’appliquent pas aux installations hydroélectriques implantées sur des cours d’eau ou parties de cours d’eau en très bon état écologique ou jouant le rôle de réservoirs biologiques mentionnés au 1° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement. Les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions des articles L. 211-1 et suivants du code de l’environnement sur la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau, de l’erreur de droit ou de l’erreur d’appréciation à cet égard, ne peuvent, dès lors, qu’être écartés comme inopérants. »

En second lieu,

Les requêtes invoquaient la méconnaissance des dispositions de l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie en ce que les dispositions contestées fixaient à 1 mégawatt seulement le seuil de puissance au-delà duquel les projets d’installations hydroélectriques pouvaient être réputés, pour répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur.

Le Conseil d’Etat écarte le moyen.

Il rappelle qu’il résulte de l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie que les conditions auxquelles doivent satisfaire les projets d’installations de production d’énergies renouvelables ou de stockage d’énergie, pour être réputés, pour répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, doivent tenir compte :

– Du type de source d’énergie renouvelable considérée,

– De la puissance prévisionnelle totale de l’installation projetée,

– Et de la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation des objectifs figurant, pour le territoire métropolitain, dans la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-2 du code de l’énergie, en particulier des objectifs relatifs à la sécurité d’approvisionnement et au développement quantitatif de l’exploitation des énergies renouvelables.

Pour la haute juridiction, il est clair que par ces dispositions, le législateur a entendu lever certains obstacles au développement accéléré de la production d’énergie de sources renouvelables et de son stockage, notamment en facilitant la reconnaissance de l’intérêt public majeur de projets de taille modeste, susceptibles d’apporter une contribution utile à la réalisation des objectifs fixés par la programmation pluriannuelle, lesquels, s’agissant de l’hydroélectricité, s’appuient principalement sur le développement de la petite hydroélectricité, sur la rénovation des centrales déjà autorisées entre 1 et 4,5 mégawatts et sur l’équipement complémentaire d’installations existantes. 

Ainsi, en fixant à 1 mégawatt le seuil de puissance prévisionnelle au-delà duquel une installation de production hydroélectrique gravitaire et une station de transfert d’énergie par pompage sont réputées, pour répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, tant que les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie dans ce secteur ne sont pas atteints, le pouvoir réglementaire n’a pas méconnu l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie et n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

Le rapporteur public dans ses conclusions, sur ce point précis, avait rappelé à la juridiction que de son point de vue, le pouvoir réglementaire disposait en la matière d’une large marge d’appréciation.

De son analyse, un seuil trop élevé aurait privé la loi de son effet utile alors que l’objectif du législateur était précisément de desserrer la contrainte. 

Un seuil trop bas ne serait entaché d’erreur manifeste que s’il conduisait à inclure des installations qui, prises dans leur ensemble, n’apporteraient aucune contribution visible à la poursuite des objectifs nationaux, ce qui était loin d’être le cas pour les installations visées par le décret.

Le rapporteur public précisait en outre l’impact limité de la mesure en ce qui concerne l’hydraulique puisque le seuil de 1 MW permettait, selon lui, d’exclure environ 67 % des installations en France qui constituent ce que l’on appelle la « micro-hydraulique », laquelle ne contribue dans son ensemble qu’à 2 % de la puissance totale hydraulique. 

C’est de nous dont on parle ici bien sûr !!

Il est certain qu’un abaissement du seuil en dessous de 1MW pourrait peut-être dans certains cas simplifier des autorisations environnementales, s’il était reconnu une présomption de RIIPM pour la création d’une microcentrale, permettant alors d’équilibrer les exigences des services instructeurs en matière de continuité écologique.
Nous n’en sommes toutefois pas encore là !
 
D’ailleurs, notre ministre Agnès PANNIER RUMACHER, dans une réponse à une question ministérielle récente sur le seuil de 1 MW s’est exprimée en ces termes, je cite :
       « Compte tenu de la contribution relativement faible des installations de moins de 1 MW à l’atteinte des objectifs énergétiques nationaux et des enjeux de renaturation des cours d’eau et de continuité écologique, établir un seuil à 150 kW n’a pas été jugé pertinent. De plus, bien qu’elles ne bénéficient pas de la présomption de reconnaissance de la RIIPM, les installations de moins de 1 MW pourront tout de même continuer à solliciter une dérogation « espèces protégées », qui restera susceptible d’être délivrée selon les conclusions des services instructeurs ».
C’est vrai que l’on peut toujours rêver….mais nous connaissons malheureusement les difficultés rencontrées avec ces services, ne serait-ce que pour déterminer un débit réservé acceptable !


En dernier lieu,

L’un des moyens soulevés par les requérants était relatif au non-respect par le décret contesté des dispositions de l’article L 411-2 du code de l’environnement en ce que le décret ferait obstacle à l’examen au cas par cas des demandes de dérogations « espèces protégées » dès lors qu’une RIIPM était présumée.

Le Conseil d’Etat rappelle cependant que le décret attaqué détermine les conditions d’application des dispositions de l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie. 

Ainsi la présomption, quant à la reconnaissance d’une raison impérative d’intérêt public majeur, instituée par les dispositions de l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie et mise en œuvre par le décret attaqué ne dispense pas les projets concernés du respect des autres conditions prévues pour la délivrance d’une dérogation par l’article L. 411-2 du code de l’environnement. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtra dispositions du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ne peut qu’être écarté comme inopérant.

La Haute Cour rappelle que la présomption de reconnaissance d’une telle raison impérative d’intérêt public majeur, présente un caractère irréfragable pour les projets d’installations auxquels elle s’applique qui satisfont aux critères édictés. 

(NB : Une preuve ou présomption irréfragable n’est pas susceptible de preuve contraire à l’inverse d’une preuve ou présomption dite « simple ») 

Cependant, elle ne dispense pas ces projets du respect des autres conditions prévues pour la délivrance de la dérogation par l’article L. 411-2 du code de l’environnement, l’autorité administrative compétente devant s’assurer, sous le contrôle du juge, qu’il n’existe pas d’autres solutions satisfaisantes que la dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Pour information de dernière minute, le Conseil Constitutionnel s’est prononcé par une décision du 5 mars 2025 sur la conformité à la constitution de la dérogation espèces protégées à propos des PINM (Projet d’Intérêt National Majeur).

Le site d’extraction et de transformation de lithium porté par la société Imérys, à Echassières (Allier) avait obtenu cette dérogation. Toutefois, les opposants à la mine ont saisi le Conseil d’État pour faire annuler le décret du 5 juillet 2024 accordant le statut de PINM au projet de mine de lithium.

Par une décision du 9 décembre 2024, le Conseil d’État a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel.

Dans sa décision du 5 mars 2025, le Conseil   reconnait la constitutionnalité des dispositions permettant la reconnaissance de la RIIPM. (Décision n° 2024-1126 QPC du 5 mars 2025- Association Préservons la forêt des Colettes et autres)

Arnaud DOLLET, Consultant juridique de la Fédération EAF

Réunion régionale
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Jeudi 27 mars 2025
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