La responsabilité pour trouble anormal de voisinage, une responsabilité de plein droit qui fait son entrée dans le code civil

La loi n°2024-346 du 15 avril 2024 visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels a été publiée au JO du 16 avril 2024.

L’un de ces enjeux a été de codifier la théorie prétorienne des troubles anormaux de voisinage.

À quelques exceptions près, le nouvel article 1253 du Code civil reprend l’essentiel des solutions dégagées jusqu’ici par la jurisprudence. L’exonération en raison de la « pré-occupation » des lieux par l’auteur du trouble est également reprise, avec une sanctuarisation un peu plus forte des activités agricoles.

Le principe dégagé par la Cour de cassation, selon lequel nul ne doit causer à autrui des troubles excédant « la mesure des obligations ordinaires du voisinage » est ancien puisqu’il remonte à 1844. (C.Cass., civ., 27 novembre 1844)  .

Il est relativement simple : La victime qui démontre un trouble anormal de voisinage (TAV) peut engager la responsabilité « de plein droit » de l’auteur du trouble. Cela signifie qu’aucune faute – par exemple la violation d’une réglementation – n’a à être démontrée, seule comptant la démonstration d’un trouble excédant les inconvénients inhérents au fait même de « vivre ensemble ».

Pour rappel le principe de la responsabilité civile de droit commun exige, au contraire, que l’on rapporte la preuve de l’existence d’une faute.

Avec la loi du 15 avril 2024, la théorie du TAV fait donc son entrée dans le Code civil, au sein de la section consacrée à la « responsabilité extracontractuelle ».

Ainsi, le nouvel article 1253, premier alinéa du Code civil, énonce que « le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte ».

         On remarque ici et en premier lieu que le Code civil dresse une liste limitative des personnes à qui l’on peut reprocher un trouble anormal de voisinage.

Jusque-là les tribunaux se donnaient la latitude d’imputer un trouble à tout type de « voisin occasionnel ». En particulier, il semble qu’il ne soit plus possible de reprocher un TAV à un constructeur.

Il reste néanmoins possible d’engager sa responsabilité de droit commun, mais une faute doit alors être démontrée, ce qui est toujours plus compliqué.

Le Code civil n’entrant pas dans le détail, le caractère anormal du trouble sera toujours, comme avant, apprécié in concreto par les tribunaux en fonction du contexte.


Dans ce cadre, les juges ont toujours eu tendance à tenir compte du fait que le trouble invoqué pouvait être antérieur à l’installation du voisin qui se plaint, qu’il s’agisse de pré-occupation collective (en s’installant dans un quartier industriel, on doit supporter des troubles plus importants que dans un quartier résidentiel) ou de pré-occupation individuelle (telle exploitation existait avant l’arrivée du voisin qui se plaint).

La pré-occupation individuelle, existait depuis une loi de 1977 et les dispositions de l’article L.113-8 du code de la Construction et de l’Habitation précisaient que :

            « les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions ».

La loi du 15 avril 2024 reprend donc ce principe, en l’amendant quelque peu, à l’article 1253, second alinéa du Code civil :

Celui-ci est libellé comme suit :

« La responsabilité [pour TAV] n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités, quelle qu’en soit la nature, existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal »

On remarque que ces nouvelles dispositions qui passent d’une liste précise d’activités protégées à un renvoi à toutes les « activités, quelle qu’en soit la nature », élargissent donc très sensiblement le champ de l’exonération pour pré-occupation.

Par ailleurs, les « activités agricoles » bénéficient d’une protection renforcée. En effet, concernant toutes les autres activités, s’il est admis que celles-ci puissent être menées à des « conditions nouvelles », c’est à la condition que celles-ci ne soient pas « à l’origine d’une aggravation du trouble anormal ».

Concernant les activités agricoles, un changement dans les conditions d’exploitation sera dans tous les cas admis s’il résulte « de la mise en conformité de l’exercice de ces activités aux lois et aux règlements » ou si l’activité est menée « sans modification substantielle de leur nature ou de leur intensité » (nouvel article L.311-1-1 du Code rural et de la pêche maritime, inséré après L.311-1 qui définit les activités agricoles).

Les juges devront notamment préciser ce que l’on entend par « modification substantielle ».

Ces nouvelles dispositions légales permettent en tout état de cause de borner un peu milieux cette fameuse responsabilité spécifique qui peut concerner nombre d’exploitants d’usines hydroélectriques, lorsqu’aux abords d’une installation se construisent des habitations dont les propriétaires peuvent alors se plaindre du fonctionnement, notamment pour des raisons de bruit, comme cela arrive de plus en plus.

Cette notion de pré-occupation par l’activité industrielle pourra donc être mise en avant pour vos installations qui, bien souvent préexistent et sont exploitées depuis longtemps avant l’arrivée de voisins récalcitrants !

Certes une jurisprudence était plus ou moins établie en cette matière mais un texte de loi est toujours plus préférable !